Comme tous les matins j'accompagnais Sarah, 10 ans, à l'école
Ce matin là, elle était d'une tristesse infinie, semblant porter le poids du monde sur ses épaules.
- Tu sais, j'ai eu une soeur qui est morte.
- Oui je sais, c'était avant que tu naisses ! tu ne l'as pas connue et moi non plus.
- Elle est en moi, c'est moi qui la porte.
- Hein ! C'est quoi cette histoire ?? Pourquoi toi ?
- Parce que je suis la première fille que ma mère a eu après sa mort. Chez nous, on dit qu'une fille revient dans la première fille a qui sa mère donne naissance après. Cette fille, c'est moi.
Je sais que pour les parents de Sarah, la perte de ce bébé est une plaie à jamais ouverte. Je sais aussi que Sarah l'hyper-ultra-sensible est bien capable de s'être mise toute seule cette charge sur les épaules.
Alors j'ai essayé d'expliquer à Sarah qu'elle n'était en rien responsable de ce qui s'était passé avant sa naissance, et qu'elle ne devait rien à sa soeur. Que personne n'aurait pu dire ce que serait devenu la soeur aînée si elle avait vécu, quel aurait été son caractère, ce qu'elle aurait aimé, détesté, ses idées, ses préférences... Je lui ai rappelé que ses cousines, bien que soeurs elles aussi, avaient chacune leur propres goûts et personnalités. Je lui ai dit qu'elle était Sarah, et qu'elle avait bien assez de sa propre vie à vivre, qu'elle pouvait penser à sa soeur, mais qu'elle ne lui devait rien. Qu'elle n'avait pas à agir en conséquence de cette soeur et qu'elle devait vivre sa vie à elle.
Et je ne sais comment, j'ai réussi a passer à des sujets plus gais.
même encore aujourd'hui j'espère ne pas avoir dit ou fait de bêtises car je n'ai aucune formation en psychologie ou en pédagogie, et la gamine a amené le sujet brut de décoffrage sur le tapis.
Alors quand j'ai entendu Sarkozy annoncer qu'il voulait que chaque élève de CM2 se voie "confier la mémoire" d'un enfant français victime de la Shoah, j'ai été atterrée et horrifiée.
J'ai repensé à Sarah, et à tous ces enfants qui "portent" déjà un frère, une soeur, un oncle ou un autre membre de leur famille. J'ai repensé au peintre Salvador Dali, qui expliqua un jour, après avoir évoqué son frère aîné pré décédé et adoré de ses parents : “toutes les excentricités que j’ai l’habitude de perpétrer, ces exhibitions incohérentes, sont la constante tragique de ma vie. Je veux me prouver que je ne suis pas le frère mort, mais le frère vivant."
Aussi, je n'ai pas envie qu'on fasse souffrir les gamins d'aujourd'hui avec des fantômes ou le poids des vies de ceux qui sont décédés. Parce qu'on risque de créer une génération de gens mal dans leur peau.
Ceux qui ont annoncé cette mesure ont dit que les gamins d'aujourd'hui voient pire à la télé. Quelle beau raisonnement !!! Il est affligeant que des responsables politiques puissent produire ce genre d'explication.
On a déjà vu malheureusement le résultat de la lecture de la lettre de Guy Moquet sur des adultes, juste avant un match de rugby...
J'aimerais qu'on laisse l'histoire aux historiens. C'est indispensable de l'enseigner, mais il faut le faire de manière intelligente. Pas en lui donnant les traits du pire happening larmoyant de TF1, ou en la faisant porter par les gosses qui l'ont pas vécue.
Sarko a t-il un problème avec la 2nde guerre mondiale ??? Déjà, la lecture de la lettre de Guy Moquet "obligatoire" était une intrusion effarante du facteur émotionnel dans l'enseignement de l'histoire, cette mesure-ci, sans compter la gaffe de sa dernière femme dans sa première interview.
Est ce qu'il pense qu'il a lui aussi un gamin de 10 ans ? Il a envie de le voir porter la mémoire d'un autre ?
Autre article intéressant sur le sujet et la manière de faire de Sarko ici
Edit : Autre article très bien fait sur ce sujet là